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Nuit Rara

Oeuvre d'art en fer décrivant un défilé rara

20 février

Dans le rythme des chants et des tambours qui monte dans la nuit, la pleine lune nous nappe de sa lueur argentée. Les étoiles s'en cachent presque. Un peu comme trois blancs qui vont assister à une fête rara. L'arbre immense au milieu de la petite communauté en construction étend ses branches dans le ciel, telle une main qui veut l'agripper. Les enfants, ceux qui plus tard mèneront ces défilés festifs, se pratiquent avec les instruments traditionnels en attendant le début de la marche. Trois trompettes à note unique faite d'aluminium ou de bambou; les joueurs trouvent leur ordre et leur rythme, puis c'est parti pour toute la nuit. Les meneurs de rythme abattent des séquences complexes sur les différents tambours, maracas et cloches à vache. Certains tambours en bois sont considérablement lourds, mais c'est aussi parti pour toute la nuit. Heureusement pour eux, les musiciens se relaient. On m'invite à essayer un tambour. Ce sera amusant, mais la complexité du rythme que l'on me propose dépasse mes notions autodidactes de musique pour l'instant. Et évidemment, personne entre Pauline, Claude ou moi ne sauront tirer une note décente des trompettes sans faire éclater de rire notre public de fortune. Tant qu'à se faire remarquer…

Bientôt, le chef s'agite et commande la cinquantaine de personnes de le suivre, alors que d'autres nourrissent le feu. La chaleur et la lueur y émanent, rassemblant les éparpillés autour. Le chef entame un chant et tourne autour du feu, suivi graduellement de tous. Les paroles peuvent faire référence à l'histoire des esclaves, à leur libération, à l'histoire politique du pays, à la situation difficile de la population. Ça peut aussi être carrément grivois, à connotation sexuelle. Les temps changent et la musique s'adapte…

Nous entrons dans la danse, amusés et sincères, faisant le tour du feu et du grand arbre quelques fois. L'ardeur du chef et de la troupe redouble alors que les flammes, alimentées par de grandes feuilles de palmiers sèches, lèchent la nuit déjà si chaude. La foule danse et tourne de façon imprévisible, afin de déjouer les mauvais esprits. Le chef fait subitement volte-face vers nous et abat son fouet au sol à deux reprises. Il s'en produit un puissant son d'explosion, tel une arme à feu. Nous croisons le regard perçant et halluciné du chef, alors qu'il fouette le sol. Apeurés, nous reculons. Ce tour du fouet, nous explique Lahens avait un grand effet dissuasif chez les Espagnols et les Français qui du coup croyaient que les habitants étaient munis eux aussi d'armes à feu... ou d'une magie quelconque... On le croit sur parole. Lahens nous assure également que les coups de fouet n'étaient pas dirigés vers nous, même si nous étions très proches. Les trois seuls blancs que nous sommes demeurons sceptiques et amusés. À la place du chef, je sais que je n'aurais pas manqué cette occasion de flanquer la frousse à une bande de néophytes ! Notre surprise passée, le chef nous contourne, suivi de la foule, et sort du bled pour gagner la rue où environ deux cent personnes se grefferont à la bande. Ils marcheront en dansant la nuit entière, rameutant davantage de gens au fil des bourgs environnants.


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Fête rara dans Little Haiti, Miami. Une photo qui montre bien l'ambiance...

Lahens nous explique, en ponctuant sa voix de longs éclats de rires surpris, que l'artibonite est le coeur culturel de la musique rara et du vaudou en Haïti, et que beaucoup de gens se réunissent ainsi chaque samedi de la période du carême, et qu'ils peuvent marcher toute la nuit sans sentir la moindre fatigue, accompagnés par les esprits vaudous et la musique festive.

Nous déclarerons forfait à minuit trente. Car demain, la route et le documentaire nous mèneront dans le nord-est du pays, à Ouanaminthe où, nous l'espérons, une jeunesse à vélo nous attend. D'ici là, la curieuse mélodie des raras et leur chaleur humaine hanteront gentiment notre dernière nuit à Gonaïves.


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