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Loctamar, la terre et le chaka

20 février

La porte de taule s'ouvre face à la petite rue de sable, et Loctamar et sa famille nous accueillent, touts sourires. Les plus jeunes se lavent dans la petite cour, les sœurs de Loctamar étendent le linge propre sur la corde, et le chien chétif nous mire d'un œil incertain. Le vélo donné par Claude à Loctamar fait briller au soleil son bleu métallique scintillant. On suppose qu'il a été lavé lui aussi !

Par amitié, et pour encourager son grand talent, Claude a emmené une machine à coudre usagée pour Loctamar. Elle pourra ainsi confectionner ses vêtements chez elle, et quand elle le souhaite. Loctamar attend toujours la bourse promise par le concours en entrepreneuriat, on se sait pourquoi. Un cul-de-sac administratif non-identifié et non justifié, comme on les aime. Mais, débrouillarde, elle saura tirer son épingle du jeu, en vendant quelques vêtements ou pièces d'artisanat de macramé, ce qui lui assurera un revenu pour acheter d'autre matériel et créer son roulement.

Nous suivons Loctamar alors qu'elle se rend au marché acheter des tissus et du fil à coudre. Vêtue d'une belle jupe orange et d'une chemise noire, Loctamar flotte haut en couleur sur ce bitume de trafic motorisé et humain, faufilant légèrement son vélo et sa petite silhouette entre les voitures, les motos et les piétons. Elle discute et négocie avec les dames du marché, de paniers en kiosques, de magasins en étals.

Puis, nous nous reposons avec elle, à l'ombre d'un arbre, dans le parc central de la ville. Loctamar est heureuse et surprise de revoir Claude aussi vite. Les deux discutent un bon moment. Puis, il est l'heure de partir. Joël nous attend pour nous emmener visiter les champs et les agriculteurs qui luttent à coups de bèche pour tirer sans aide les fruits de la terre asséchée. Un combat de chaque jour, contre la faim et le désintérêt du gouvernement. Martelly était effectivement un bon chanteur… Quelques bons coups, nous dit-on, mais trop peu, en peu de temps que la poudre aux yeux ne retombe et laisse entrevoir l'ombre de l'éternelle corruption, maladie qui semble trop souvent incurable…

Nous marchons dans les champs asséchés, une ribambelle de gamins curieux qui nous suivent, nous prennent la main et finissent pas nous demander de l’argent, nos lunettes soleil ou un ballon de foot. Échanges amusants puis désolants.

Joël et ses camarades nous racontent que plusieurs abandonnent leurs terres et vont gonfler les quartiers défavorisés des villes dans l’espoir de quelques dollars. Ou bien ils ramassent durement leur argent jusqu’à pouvoir se payer un billet d’avion pour le Brésil, nouvelle destination du cheap labour, où ils seront employés à petit salaire pour cultiver cette terre qui ne leur appartient pas.

Un ami de Joël nous demande de filmer un message qu’il utilisera pour présenter son regroupement et ses exigences. Les Révoltés pour l’emploi militent pour un investissement sérieux du gouvernement dans l’agriculture et sa valorisation, afin de créer de l’emploi et travailler la terre, par et pour le peuple haïtien, au lieu d’importer ce qui pourrait être produit ici, et exporter les produits de la terre qui pourraient être consommé ici. Par exemple les États-Unis, toujours aussi fouille-merde et capitalo-colonialistes, exportent du riz ici et le vendent moins cher que le riz local. Et arrive ce qui arrive… Ils tuent le marché du riz haïtien. Merci pour votre aide. J’imagine que le Canada ne fait pas mieux avec d’autres produits…

Discours enflammé donc, devant la caméra, par Alectine. Si la situation ne change pas, si le gouvernement n’écoute pas les revendications des Révoltés pour l’emploi, le groupe promet des manifestations dans les rues, qui seront similaires à celles des dernières semaines. L’organisme a des cellules dans plusieurs villes du pays et il assure qu’ils seront prêts à passer à l’action. Nous souhaitons bonne chance au regroupement.

Joël, Alectine et les enfants

Joël fait plus dans la sensibilisation et les projets sur le terrain. Il n’a pas peur de mettre la main à la terre pour partager le dur labeur de ses camarades. Il nous parle de cette réalité et des besoins de la communauté sur un ton moins batailleur, l'espoir aux lèvres, entouré de deux amis cultivateurs, puis d'enfants qui nous partagent leurs rêves d'avenir. À la grande surprise de Joël, aucun ne rêve d'être agriculteur. Médecin, avocat, on en aura besoin (au moins un des deux…), mais qui donc fera pousser leur nourriture ? Ils sont encore jeunes. Et la population d'Haïti aussi…

Le soir tombé, nous retrouvons les zanmis dans une grande cour entourée de murs de ciment, éclairée aux chandelles. La place est bondée. Quelques petites tables ça et là et une centaine de chaises font face à une petite scène, où des intervenants discutent en créole de sujets qui touchent une jeunesse conscientisée: comment revitaliser et promouvoir les traditions et la culture haïtiennes. Bienvenue au restobar La Causerie, tout récent et presque unique lieu de rencontre pour les intellectuels et les gens avides de changement. Le propriétaire Yves-Emmanuel, un autre ami de Claude, nous présente avec fierté un des plats traditionnels créole qu'il sert ici, le Chaka. Sorte de soupe épicée avec pois chiches, maïs, boudins de pâte et viande marinée. Un délice, tout comme son prix. Yves-Emmanuel vise l'enrichissement culturel et non l'enrichissement pécunier. Un endroit à découvrir absolument si vous passez par Gonaïves un jour. La qualité de la programmation et de la nourriture lui promettent un avenir certain.

Le Chaka, soupe repas de maïs, haricots, courge et viande. Un délice...

Mais la soirée est encore toute jeune pour Lahens, qui insiste pour nous emmener, rappelez-vous, marcher et danser dans la nuit vaudou, au cœur d'une communauté reculée. Nous acceptons plus que volontiers. Et ce soir, la caméra restera à l'hôtel...


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