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Parenthèse et petitesse du monde

Après avoir décidé de faire dans l’original pour le repas du soir, nous nous retrouvons au restaurant Hong Kong devant un énorme plat de chop suey et de poulet à l’orange (!). On ne retient pas les leçons de la veille et de l’avant-veille : le soir, il faut se contenter de boquitas, sinon on se fait assommer de bouffe, et l’estomac veut alors s’endormir. Peu importe, Carolina, notre serveuse, nous parle des endroits intéressants où prendre un verre. Ou cinq. Son quart de travail terminé, elle nous emmène dans un bar avec de la musique live, et nous suons notre surenchère chinoise sur le plancher de danse avec quelques un(e)s de ses ami(e)s. Et c’est par la suite que le monde devient petit, que les pôles se touchent, que la littérature devient réalité.

Au fil des discussions qui s’entrelacent tel un bref bracelet d’amitié, Pauline m’interrompt et me montre le permis de conduire de Carlos, avec qui nous discutons depuis deux bonnes heures. Je lis son nom complet, d’un œil encore attentif: Carlos Fonseca Lopez. Je sursaute. « Le fils de ??? ». Non, le petit-fils de… De Carlos Fonseca Amador, cofondateur martyr du FSLN, assassiné en 1978 par l’armée du dictateur Somoza troisième. Avant de le tuer, ils lui ont coupé les deux mains, en signe d’exemple, pour calmer les révolutionnaires. Ce qui eut l’effet contraire : le peuple s’est davantage mobilisé et a grossi les rangs de la révolution. Deux ans plus tard, les troupes sandinistes marchaient victorieusement sur Managua.

Nous voilà donc devant le petit-fils d’un héros de la révolution, qui a inspiré tout un peuple à lutter pour sa liberté. Nous sommes d’abord abasourdis. Ila les mêmes yeux, le même regard, derrière, lui aussi, des lunettes à montures noires, qui terminent la ressemblance. Nous parlons évidemment de politique, du FSLN, d'une éventuelle entrevue avec lui et sa grand-mère. À voir...

Nous échangeons aussi sur les bicitaxis, histoire de changer d’air. Pour lui, et nous epnsons de même aussi, les coopératives devraient informer les membres sur ce qu’ils peuvent accomplir ensemble, en investissant un peu : une forcé de représentation face aux municipalités et aux gouvernements, un fonds dans lequel chacun investit pour avoir une forme de sécurité sociale, d’assurance en cas de maladie, une assurance pour leurs véhicules en cas de bris, vol ou accident, un fonds collectif pour les cas de grèves ou de problèmes juridiques. Et par-dessus tout, une coopérative pourrait fixer des règles du métier, établies collectivement, comme un prix fixe de départ pour le client et un tarif au kilométrage, ou au nombre de coins de rues parcourus, ce qui éliminerait la compétition entre les bicitaxistas mêmes, et leur donnerait une plus grande crédibilité face à tous. Déjà qu’ils vivent une rude compétition avec soit les conducteurs de mototaxis ou de voitures, ils ne devraient pas se nuire les uns les autres. Mais dans un pays où 50% des travailleurs vivent de boulots non officiels ou au noir, cela peut prendre du temps et beaucoup d’information. C’est chacun pour soi, et on ne vise que le court terme, payer la licence, nourrir les enfants ce soir… Si un client dit que 20 cordobas c’est trop cher, le bicitaxista juste à côté va le prendre pour 15 cordobas, et ainsi de suite. Ils se respectent dans cette compétition, mais ça reste individualiste et un peu sauvage.

Au final, c’est un peu comme Ortega. Les paroles sont belles sur les affiches géantes aux couleurs pastel du parti. Mais quand on gratte un peu, on réalise que le Président du Peuple profite beaucoup plus, avec une poignée de proches, des retombées du système capitaliste, que la population qu’il prétend sortir de la misère. C’est pourquoi plusieurs ne se fient qu’à eux-mêmes et créent leur propre travail. S’il montrait vraiment l’exemple, si les murailles peintes en son honneur sur les murs des villes le représentaient vraiment, les bicitaxistas et tous les travailleurs indépendants trouveraient une vraie sécurité et un salaire digne de la sueur qu’ils ya laissent couler.

L’entrevue avec Carlos Fonseca Lopez n’aura finalement pas eu lieu, notre samedi pesant lourd sur nos estomacs fragilisés, lui devant se rendre à Managua le dimanche, et nous quittant pour Chinandega. Peut-être a-t-il changé d’idée suite à mes questions pointues et critiques. Peut-être sa grand-mère ne voulait pas finalement ressasser ces pénibles histoires de guerre. Et peut-être est-ce mieux ainsi pour moi, ne pas mélanger les sujets, ne pas me remplir la tête d’autres idées de documentaire. Nous resterons en contact j’imagine. Une prochaine fois, qui sait. Autre sujet, autre voyage. Pourquoi pas…


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