Les taxistas de León
Le lendemain, Emmanuel nous emmène dans León, à la rencontre d’autres bicitaxistas, su terminal et au marché. Mi-vingtaine, il a un petit garçon et une petite fille. Sa femme reste à la maison et s’occupe d’eux. Souvent, Emmanuel préfère quitter la maison pour forcer ses pédales au soleil, dit-il en riant. Même si c’est lui qui apporte les sous, il nous assure que sa femme trime beaucoup plus dur que lui.
Dans les rues, nous croisons peu de ses collègues. Car ici, ils sont tolérés, et ils ne peuvent pas travailler partout. Si la police les voit dans le centre-ville, ils leur confisquent leurs engins et ils doivent alors payer une amende, en plus de payer pour récupérer leur outil de travail. Pour Emmanuel, la municipalité est sale et le gouvernement aussi. Ils ne se soucient pas d’eux et se contentent de prendre l’argent des permis qu’ils doivent payer, et de les éloigner du centre, là où ils feraient bien plus d’argent. Comme partout ailleurs, le pétrole est roi et on y obéit. Il y a eu d’ailleurs des manifestations de bicitaxistas. Outre une certaine sympathie de la population, cela n’a pas donné pas grand-chose. Et les médias se sont contentés de couvrir uniquement les manifestations menées par les chauffeurs de taxis en voitures et les chauffeurs d’autobus. Pour plusieurs citoyens, les bicitaxis sont symbole de pauvreté et ça ne donne pas une image d’une société qui désire se moderniser. Toutefois, le gouvernement semble ne rien faire pour donner des emplois officiels à ceux qui ont besoin. On fait alors ce qu’on peut. Ce qui a aussi ses avantages, pas de patrons et l’argent leur revient directement.
Les autres taxistas qu’Emmanuel nous présente sont peu loquaces et arborent un look peu rassurant. Chaînes au cou, regards durs, tatous… L’un d’eux porte au menton un tatou… de barbiche. Peut-être est-il imberbe et cela le complexait ? Les autres marques d’encre sur son corps et son visage nous disent qu’il n’a peut-être pas toujours été dans le service à la clientèle… Il demande à Pauline d’un ton ferme pourquoi on s’intéresse à ce qui se passe ici alors que nous sommes d’un autre pays. Pauline lui répond avec assurance qu’au Canada, ce métier n’existe pas et que nous nous intéressons à tout ce qui se fait autour du vélo, et que nous allons aussi au Salvador et au Guatemala. Elle fait valoir notre point avec une telle assurance qu’à mi-chemin dans sa réponse, le dur se réfugie derrière ses grosses lunettes miroir. Pauline termine alors le dialogue avec son propre reflet. Puis, il quitte les lieux à pieds, nous laissant l’impression qu’il n’est peut-être pas bicitaxista après tout… Nous discutons un moment avec un homme plus âgé qui critique la mairie et le gouvernement mais refuse d’être filmé. Nous décidons de quitter le terminal, inutile de s’attarder ici plus longtemps, avec notre air qui semble être celui d’extraterrestres perdus.
Emmanuel nous débarque à la mairie, où nous attendons le responsable des transports qui, nous dit-on, devrait arriver d’une minute à l’autre. Le vendredi après-midi est lent et somnolent dans les bureaux. Les fonctionnaires semblent occuper leurs fonctions uniquement de corps, leurs esprits clavardant sur leurs téléphones cellulaires ou fixant le vide en mâchant de la gomme, nous laissant une impression de déjà vu de nos propres fonctionnaires, qui sombrent parfois dans la désillusion et le laxisme.
Une heure plus tard, on nous dit que Rafael ne viendra aujourd’hui. Il n’a pas répondu aux douze appels d’un collègue, alors… Nous retournons à l’hôtel pour se faire un plan de match de la soirée. Après tout, c’est vendredi pour nous aussi…