À la recherche de Luis...
Passé 9h, nous marchons jusqu'au marché à nouveau, et évaluons les possibilités. Si on ne le trouve pas, on cherche un autre taxista ? Peut-être Luis s'est-il résigné à être mototaxista ? Ça demeurerait intéressant pour le documentaire. C'est quand même un travail éprouvant pour le corps... et peu rémunéré. S'il y a mois de vélotaxis, on file à Rivas ? Notre amie Laura nous a écrit qu'en passant par Rivas, elle en a vu une bonne cinquantaine juste sur un coin de rue...
Nous scrutons chaque regard de ces hommes au dur labeur, cherchant les traits rieurs de Luis. Trompeurs, les vélotaxis rouge attirent notre attention, en vain. Nous traversons la rue principale au galop entre deux camions, esquivant les tucs-tucs qui filent et entrent dans le marché. Dans la multitude, un bicitaxista avance vers nous, le visage ombragé par le toit de l'engin. Je devine du rouge sur les poteaux esquintés de sa monture, et devine sa silhouette fine mais endurcie. Puis, un pincement au coeur. Il tourne son visage souriant vers nous : c'est bien lui. "Luis Flores Gutierrez !!". Il nous salue en avançant et nous le rejoignons avec une chaude poignée de main. Il nous a vu de loin, et l'homme à qui nous demandions la veille lui a dit qu'un homme et une femme blancs le cherchaient. Il nous attendait presque. Mission accomplie. Un an plus tard, nous reprenons le tournage avec Luis. Nous imaginions une journée à sa recherche dans les rues de Diriamba, et voilà qu'une demi-heure plus tard, nous discutons avec lui et quelques collègues qu'il nous présente un peu partout en ville. Un d'eux nous prend à bord et nous suivons Luis qui attrape des clients dans les rues cahoteuses et animées. D'autres collègues sont amusés de voir Luis être une "vedette", suivi par un micro et une caméra. Il semble avoir vieilli, le visage arborant plus de traits de vie, les yeux tachés de rouge par le vent et la poussière. Il conserve toutefois son sourire et sa bonne humeur.
Les courses ne sont pas de tout repos, entre les voitures, les autobus et les camions qui crachent leur fumées noires, les mototaxis qui piquent les clients en criant Tuc-tuuuc !! de leurs klaxons, et les gens qui traversent les rues quand ils peuvent. La route menant à Managua se déverse tant bien que mal dans ce petit centre-ville où autrefois régnaient les bicitaxis et bien avant, les chevaux qui aujourd'hui ne figurent que sur les peintures qui décorent les quelques restaurants et hotels, et dans les graffitis artistiques qui couvrent la peinture défraichie des murs de ciment de la ville.
L'an dernier, Luis nous disait que d'environ 80 mototaxis, le chiffre avait grimpé à 500. Et aujourd'hui les bicitaxis disparaissent tranquillement. Il y en a déjà moins que l'an passé. Plusieurs ont abdiqué et sont maintenant mototaxistas. La municipalité les a laissé entrer en grandes pompes, avec tout le bruit et la pollution qu'ils génèrent, et aussi les taxes et les permis, plus coûteux, donc plus payant pour la ville et le gouvernement. La compétition est féroce. Chacun interpelle les gens qui sont à pied, à coup de gueule ou de klaxon. Plusieurs bicitaxistas ne participent toutefois pas à ce concert tonitruant. Ils se stationnent en évidence au marché, sur les rues principales, au terminal, au parque central, et pianotent les minutes qui passent sur leur clavier de téléphone, étalés de tout leur corps sur les bancs où devraient siéger des clients. Luis, lui, arpente la ville, salue ses connaissances et va à la rencontre de son gagne-pain.
Un trajet en bicitaxi coûte 25 cordobas, un dollar, pour quelques coins de rue. Le reste est négociable.